Aujourd’hui, 3 millions de Français seraient atteints de maladies génétiques, soit 1 français sur 22. Il s’agit de maladies dues à des anomalies présentes sur un ou plusieurs chromosomes et qui entraînent un défaut de fonctionnement de certaines cellules de l’organisme. À ce jour, il existe près de 6 000 maladies génétiques, dont le gène en cause a été identifié pour environ la moitié. Contrairement aux idées reçues, toutes les maladies génétiques ne sont pas héréditaires. En effet, certaines d’entre elles peuvent être liées à une anomalie génétique survenue au cours de la vie comme c’est notamment le cas pour les cancers et pour de nombreuses maladies neurodégénératives. Une altération génétique peut également apparaître lors de la fabrication des gamètes (cellules reproductrices parentales). Ainsi, le génome de l’enfant issu de gamètes altérés sera porteur d’une anomalie génétique qui n’est pas initialement présente dans le génome des parents.
Il existe différents types d’anomalies :
- Les anomalies chromosomiques : les chromosomes porteurs de l’ADN peuvent comporter une altération au sein de leur structure. Ils peuvent également être présents en trop grand nombre dans la cellule. Par exemple, la trisomie 21, ou syndrome de Down, découle de la présence d’un chromosome surnuméraire au niveau de la 21e paire de
chromosomes. - Les anomalies résultantes de la modification d’un gène : on parle alors de maladies géniques. L’altération d’un seul gène, aussi appelé mutation, peut suffire à perturber la vie des personnes concernées. Toutefois, certaines mutations ne constituent pas la cause directe d’une maladie mais peuvent être à l’origine de simples prédispositions (facteurs de risque).
Les facteurs capables d’influencer l’apparition et l’expression de ces anomalies ne sont pas encore tous connus. Actuellement, nous savons qu’il existe un réel lien entre les prédispositions familiales face à certaines maladies et le développement de celles-ci. Néanmoins un élément combinatoire à la génétique semble jouer un rôle important dans le déclenchement ou non de ces maladies, ce sont les facteurs environnementaux (sédentarité, alimentation, exposition aux polluants…). Cette approche scientifique émergente pourrait, à terme, traiter les susceptibilités et les prédispositions génétiques en vue de prévenir l’apparition de certaines maladies.
L’épigénétique
Les phénomènes épigénétiques sont des changements d’expression des gènes sous l’influence de notre environnement. Ils impliquent un changement de configuration de l’ADN mais n’impliquent pas de modifications de sa séquence elle-même. C’est grâce à des signaux spécifiques sur la séquence de l’ADN, que les gènes peuvent être lus ou non, c’est-à-dire “activés” ou “éteints”. Le principal mécanisme agissant sur l’expression d’un gène est un procédé chimique consistant à ajouter un groupement méthyle à l’ADN. Ce phénomène de méthylation modifie la structure de l’ADN et la manière dont le gène interagit avec les acteurs de la traduction. Globalement, les marques épigénétiques sont stables durant la vie de l’individu.
Toutefois, l’expression d’une maladie peut prendre différentes formes, y compris au sein d’une même famille. Les symptômes peuvent également varier au cours de la vie : un même génome peut donc s’exprimer différemment en fonction des facteurs épigénétiques. Ces mécanismes sont influencés par des facteurs environnementaux tels que l’activité physique, le sommeil, le bien-être ainsi que l’alimentation. L’hygiène de vie joue alors un rôle clé dans la régulation de l’expression des gènes.
Le Docteur Deepak Chopra a d’ailleurs écrit : “seulement 5 % des mutations génétiques liées à des maladies sont totalement déterministes, tandis que 95 % peuvent être influencées par notre alimentation, notre comportement et d’autres conditions environnementales”. Cette approche de la santé met en lumière le fait que nos actions quotidiennes sont déterminantes pour la santé de notre corps en général, mais elles ont aussi un impact plus profond sur nos gènes et donc sur la transmission à la descendance.
La génomique nutritionnelle
Comme le disait si bien Hippocrate, “que ton aliment soit ton seul médicament”. Ce terme prend tout son sens et s’ouvre à une dimension encore plus large lorsqu’on comprend l’impact de l’alimentation sur nos gènes. La génomique nutritionnelle est une approche scientifique basée sur l’épigénétique et l’alimentation. Elle correspond à l’étude des différentes interactions entre les aliments et l’expression des gènes. On distingue deux grands types d’interaction :
- La Nutrigénétique : vise à identifier comment la nature de notre patrimoine génétique influence la manière dont un individu réagit à son alimentation. Par exemple, le risque d’obésité serait deux à huit fois plus élevé chez les personnes avec des antécédents familiaux d’obésité que chez les personnes n’ayant pas de prédisposition génétique. Par ailleurs, une intolérance au lactose chez un individu peut être le résultat d’une mutation du gène codant pour l’enzyme qui digère le lactose. Il y a alors accumulation de lactose dans l’intestin à l’origine de maux de ventre. Tandis qu’une autre personne n’ayant pas cette mutation, tolère très bien le lactose.
- La Nutrigénomique : qui consiste à étudier comment les nutriments peuvent impacter l’expression des gènes, c’est-à-dire la traduction du gène en protéine active. Cette approche tente d’établir un lien entre certains nutriments ou régimes spécifiques et la santé humaine.
C’est grâce à diverses études que des gènes de prédisposition à certaines maladies ont pu être identifiés et associés à la consommation de certains nutriments.
La nutrigénomique démontre l’importance des choix alimentaires sur notre santé. Elle offre un axe de prévention particulièrement intéressant sur lequel nous nous penchons dans cet article. Plusieurs catégories d’aliments jouent d’ailleurs un rôle prépondérant dans la régulation de l’expression des gènes. En effet, certains nutriments se trouvent directement impliqués dans le métabolisme responsable du transfert de groupements méthyle ou participent à la protection de l’ADN face au stress oxydatif.
Les aliments antioxydants
Notre génome est fréquemment exposé aux phénomènes d’oxydation du fait de l’activité oxydante induite par la respiration cellulaire. Un génome oxydé est un génome dont l’activité est fortement modifiée voire altérée, il peut même être non fonctionnel, induisant ainsi la mort cellulaire. Ces phénomènes d’oxydation consistent à donner un électron à une molécule stable. Or, pour être stable, une molécule doit être entourée de paires d’électrons. Ainsi les antioxydants ont la capacité de conférer l’électron manquant à la molécule oxydée ou à l’inverse, de piéger l’électron en “excès”. Ce phénomène d’oxydation représente d’ailleurs un facteur de risque face au vieillissement, face à l’apparition de mutations et à la formation de cellules cancéreuses. Ainsi, il est nécessaire de protéger l’ADN grâce à l’action d’antioxydants.
Il existe deux types d’antioxydants :
- Les antioxydants primaires, qui désignent les enzymes antioxydantes présentes au sein de notre corps. On en compte 3 principales : la superoxyde dismutase (SOD), la catalase (CAT) et le glutathion peroxydase (GPX).
- Les antioxydants secondaires, qui désignent des molécules exogènes non synthétisées par notre corps. Parmi eux, on trouve les vitamines antioxydantes : A, C et E. Les polyphénols des végétaux, les caroténoïdes… représentent également une bonne source d’antioxydants directs capables de capter les radicaux libres. On peut aussi apporter des antioxydants ayant une action indirecte. C’est-à-dire qu’ils vont booster l’activité des enzymes antioxydantes primaires. Les vitamines et certains oligoéléments tels que le zinc, le manganèse ou encore le sélénium en font partie. On retrouve ces antioxydants notamment dans les végétaux : fruits et légumes crus, plantes aromatiques et épices.
Une étude clinique a observé l’effet antioxydant de la consommation de kiwi (riche en vitamine C) sur l’ADN. Il a été démontré qu’elle offre à la fois une protection contre les dommages oxydatifs de l’ADN, qu’elle permet d’augmenter le niveau d’antioxydants de manière générale, mais aussi de booster la réparation de l’ADN endommagé.
Ainsi, la consommation d’aliments riches en vitamine C comme le kiwi, permettrait de prévenir les dommages oxydatifs sur l’ADN et donc de diminuer les risques de cancers. Certains cas physiologiques particuliers (sport intense, vieillesse, stress, hygiène de vie déséquilibrée…), nécessitent une supplémentation en antioxydants de manière plus concentrée pour soutenir le métabolisme normal.
Les acides gras
Les acides gras sont des molécules lipidiques constituées de chaînes de carbones liés à des hydrogènes et se terminant par un groupement acide (COOH). Les lipides sont des macronutriments ayant une valeur énergétique élevée. Il en existe 3 catégories : les acides gras saturés, mono-insaturés et poly-insaturés. Parmi les acides gras poly-insaturés, on retrouve les fameux oméga-6 et les oméga-3, essentiels dans notre alimentation quotidienne. Idéalement il est recommandé de consommer 4 fois plus d’oméga-6 que d’oméga-3 dans la journée. Cependant, actuellement les gens consomment en moyenne 20 fois plus d’oméga-6, ce qui créé des déséquilibres. Il semblerait qu’une alimentation riche en lipides de manière générale durant 5 jours, puisse impacter l’activité des gènes et la méthylation de l’ADN au sein des muscles squelettiques et du tissu adipeux. D’après une étude, la consommation d’aliments contenant des acides gras poly-insaturés ou des acides gras saturés, entraînerait une méthylation de l’ADN du tissu adipeux différente selon la nature de ces derniers.
D’après une autre étude, les oméga-3 seraient capables d’induire des modifications épigénétiques influençant ainsi l’activité de la leptine, une hormone qui régule le stockage des graisses ainsi que la satiété. Les oméga-3 pourraient donc être une piste intéressante concernant les problématiques d’obésité à travers le processus de régulation épigénétique.
Les micronutriments
Les micronutriments sont des molécules essentielles à l’organisme, qu’il ne peut généralement pas synthétiser lui-même. On retrouve les vitamines, les minéraux et les oligoéléments. Il est désormais scientifiquement reconnu qu’une carence en micronutriments (donneurs de signaux épigénétiques), peut être à l’origine du développement de cancers.
Ces signaux sont généralement des groupes méthyle. En effet, prenons l’exemple d’un défaut de méthylation de certaines parties de l’ADN, cela entraîne un changement de l’expression des protéines pour lesquelles elles codent. Il peut y avoir une activation des gènes non exprimés habituellement ou une inactivation de gènes habituellement activés.
Ces modifications d’expression peuvent être à l’origine de maladies diverses. Par exemple, le zinc et certaines vitamines B sont des micronutriments clés dans le mécanisme de transfert de groupements méthyle à l’ADN. Ainsi, en cas de carences ou au cours d’une période exposant à un plus gros risque de carence en micronutriments (fatigue, stress, régime particulier, convalescence, grossesse, augmentation du métabolisme entraînant une utilisation plus importante de micronutriments par l’organisme…), une supplémentation représente un réel intérêt en termes de prévention du développement de pathologies. Cette approche est également intéressante pour les femmes enceintes ou désirant avoir un enfant, afin de prévenir au mieux le risque de développer des maladies chez leur bébé (transmission intergénérationnelle de marqueurs épigénétiques).
Les phytonutriments
Les phytonutriments sont des éléments nutritifs synthétisés par les plantes. Ce sont les substances du métabolisme secondaire des plantes qui leur servent à se protéger des rayons UV, des insectes et de certains germes. Certains de ces phytonutriments peuvent aussi agir sur l’activité du génome. Prenons l’exemple des polyphénols, reconnus pour leurs activités antioxydantes. Ils interviendraient dans les phénomènes d’épigénétique en prévention contre le cancer, dans le remodelage de la conformation de chromatine et dans l’activation de gènes silencieux. Parmi les phytonutriments les plus connus, on retrouve également la quercétine issue des oignons ou des pommes, l’acide rosmarinique issu du romarin, les curcuminoïdes du curcuma, le resvératrol présent dans la peau des raisins et bien d’autres polyphénols5.
La nutrigénomique est une approche récente qui nécessite encore de nombreuses recherches concernant les mécanismes impliqués dans chaque interaction gène-nutriment. De plus, la protection des données personnelles (lecture du génome), la déontologie, la portée familiale des résultats et les éventuels conflits d’intérêts sont des enjeux considérables à prendre en compte. Divers aspects restent à ce jour encore inconnus, on ne peut donc pas tirer de conclusion définitive sur cette approche. Toutefois, ce domaine mérite de garder un œil éclairé sur les dernières avancées scientifiques.
En résumé, comme l’explique Édith Heard, une biologiste de renom, l’épigénétique est une forme de mémoire cellulaire transmissible aux générations de cellules suivantes. Contrairement aux maladies héréditaires congénitales dues à une mutation de la séquence d’ADN, cette mémoire est certes transmissible, mais elle peut être modifiée ou effacée, d’où le terme de réversibilité. Cette réversibilité peut être modulée par notre alimentation. Les nutriments possèdent alors un champ d’action large, à plusieurs niveaux dans notre corps. Cette nouvelle approche constitue non seulement un véritable espoir pour la santé, mais surtout elle met en avant l’aspect préventif de la nutrition et de la micronutrition.
Cela offre des perspectives intéressantes comme la prévention de maladies à travers une éducation nutritionnelle adaptée, une prise en charge plus globale des maladies en soutient de thérapies allopathiques, mais elle permet aussi d’appuyer le lien existant entre l’impact d’une alimentation saine et la santé.
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