La plupart des vitamines et des minéraux ne peuvent être synthétisés par l’organisme. Il convient donc de les apporter régulièrement et en quantité suffisante par le biais d’une alimentation riche en fruits et légumes. Digérés puis absorbés dans le tube digestif, c’est grâce à eux que notre organisme est capable d’assurer son bon fonctionnement métabolique et physiologique.
Pour connaître les apports nutritionnels de nos assiettes, il existe des outils qui répertorient la teneur en nutriments de nombreux aliments. En France, c’est l’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l’Alimentation, de l’Environnement et du Travail (ANSES) qui met à disposition la base de données de référence sur la composition nutritionnelle des aliments, il s’agit de la table Ciqual. Elle y fait mention de plus de 2 800 aliments, représentatifs de ceux les plus consommés en France. On retrouve des tables équivalentes dans de nombreux pays (USDA aux États-Unis, CoFID aux Royaume-Uni…).
En plus d’être un outil de qualité pour les professionnels de santé, ces tables ont permis de mettre en lumière un phénomène troublant : il semblerait que la teneur en vitamines et minéraux des fruits et légumes se soit affaiblie au cours des dernières décennies.
De nombreux chercheurs à travers le monde ont étudié cette régression. Au Royaume-Uni, une comparaison de la teneur en minéraux (magnésium, potassium, calcium, sodium, fer, cuivre, zinc, phosphore) de fruits et légumes cultivés entre les années 1930 et 1980, montre en effet plusieurs réductions importantes. De plus, on remarque que la teneur en eau a augmenté alors que la matière sèche a diminué, surtout dans les fruits. Le constat est le même pour les vitamines (vitamine B2, vitamine C…) et les minéraux aux États-Unis. Mais alors, à quoi serait due cette perte ? Les pistes semblent multiples.
La modernisation des méthodes de cultures
Les scientifiques pointent du doigt l’augmentation spectaculaire des rendements agricoles, obtenus par le biais de nouvelles techniques de cultures intensives (hydroponie, contrôle de la lumière et de la température, ajout de substances chimiques, sélection génétique et hybridation, etc.). Comme le précise le chercheur de l’Université du Texas, Donald R. Davis, les méthodes environnementales et génétiques peuvent accroître le rendement des cultures mais des rendements accrus peuvent aussi réduire les concentrations de certains nutriments. C’est ce qu’on appelle le phénomène de dilution.
Les plantes issues de cultures à croissance plus rapide ne sont pas nécessairement capables d’acquérir les nutriments au même rythme, que ce soit par le biais d’un apport de synthèse ou par acquisition dans le sol.
Autrement dit, elles ont moins de temps pour acheminer les éléments nutritifs vers la partie récoltée en fin de saison (feuilles, fruits, graines…). “Les excès d’intrants augmentent la vitesse de croissance des plantes et diminuent proportionnellement le temps d’élaboration des micronutriments”, explique Martine Padilla-Tichit, du Centre International des Hautes Études Agronomiques Méditerranéennes (CIHEAM). Quantité et qualité ne semblent donc pas aller de pair.
Les récoltes trop précoces
Ce fait est d’autant plus marqué que la plupart des fruits (tomates y compris) se trouvent récoltés prématurément pour pouvoir mieux résister aux centaines ou milliers de kilomètres qu’ils parcourent avant d’être vendus et consommés.
Ces fruits, cueillis trop tôt, développent généralement moins de nutriments liés à l’ensoleillement, tels que les anthocyanes et les polyphénols. Ces molécules sont des antioxydants qui donnent aux fruits leur couleur et leur saveur. Ainsi, d’après une étude, des mûres cueillies “vertes” contiennent en moyenne 74 mg d’anthocyanes contre 317 mg dans les fruits mûrs.
Une fois arrivés à maturation, les fruits qui avaient été cueillis trop tôt ont atteint un seuil plus faible que les fruits mûrs naturellement. Le constat est le même pour la vitamine C des pommes et des abricots. À l’origine, ces molécules antioxydantes sont produites par les plantes dans le but de se protéger lors d’évènements stressants (mais naturels) qu’elles peuvent rencontrer (période sèche, radiation solaire…).
En culture intensive, où de nombreux paramètres sont contrôlés, les plantes subissent peu de stress et ont donc moins besoin de produire ces molécules. Non synthétisables par l’homme, ces substances forment un apport exogène non négligeable d’antioxydants (appelés antioxydants secondaires), dont le but est de protéger les cellules de l’oxydation en captant les radicaux libres et de limiter le vieillissement cellulaire.
Le système racinaire
Les plantes fertilisées et bien arrosées sont moins incitées à produire de belles racines, car la plupart des éléments nutritifs dont elles ont besoin sont trop facilement disponibles. Ces systèmes racinaires peu développés peuvent être suffisants pour absorber les principaux nutriments dont la plante a besoin, particulièrement lorsque les agriculteurs appliquent des quantités importantes d’engrais.
Toutefois, ces racines sembleraient moins efficaces pour absorber les nutriments secondaires (sélénium, chrome…) et plus vulnérables aux maladies. Comme le précise le Docteur Walter Goldstein, si le système racinaire est compromis, ce qui semble être le cas dans la plupart des cultures américaines, il devient très difficile de s’attendre à ce que la plante soit capable d’absorber l’intégralité des nutriments.
La composition des sols
Les techniques de cultures intensives épuisent les sols, la mise en jachère n’est plus respectée, la teneur en nutriments diminue dans certaines zones. L’utilisation d’engrais est préconisée alors que celui-ci s’avère tout aussi problématique : certaines formulations d’engrais modifient les propriétés chimiques des sols (comme le pH), ce qui réduit la disponibilité de certains nutriments.
Les plantes réagissent à l’excès d’éléments chimiques (engrais…) en mettant plus d’énergie dans la synthèse d’amidon et de protéines de stockage (qui possèdent moins de valeur nutritive que d’autres protéines), et donc moins d’énergie dans l’absorption des micronutriments et la synthèse des substances phytochimiques.
Les choix de cultures
Concernant les pratiques de sélection des plantes, elles se font généralement au profit d’une augmentation du volume de la partie récoltable des végétaux, et au détriment de la biomasse totale de la plante.
Bien souvent, on assiste à une réduction de la partie non récoltable qui est pourtant essentielle pour fournir les nutriments au reste de la plante. L’aspect, la texture, la tenue sont les maîtres mots de la sélection, alors que la qualité nutritionnelle est rarement un critère de sélection direct.
Une étude s’est penchée sur le cas du rendement du blé. Celui-ci s’est grandement amélioré grâce à la sélection, mais en parallèle, les scientifiques ont effectivement constaté une réduction des concentrations de fer, de zinc et de sélénium dans les semences.
Les méthodes de récolte, les traitements de conservation, le stockage et l’allongement des temps de transport sont autant de facteurs qui peuvent également influer sur la densité nutritionnelle des fruits et légumes. Le choix d’une variété adaptée au site de production est aussi une considération importante puisqu’une mauvaise stratégie variétale donnera lieu à des produits de moindre qualité.
Le climat
Enfin, il semblerait que l’agriculture moderne ne soit pas la seule coupable. Le changement climatique, lui aussi, pourrait jouer un rôle dans la perte nutritionnelle des végétaux.
En effet, de nombreuses études ont montré que l’augmentation des niveaux de carbone dans l’atmosphère diminuait la teneur en azote des semences, et que la hausse du dioxyde de carbone atmosphérique serait une cause de changements dans la composition nutritionnelle des feuilles, tiges, racines, fruits, graines et tubercules.
On observe une diminution conséquente des minéraux (calcium, magnésium, potassium, zinc, fer…), des protéines, et une hausse des glucides. Des études tentent d’évaluer quel type d’impact ces changements pourraient avoir sur la santé de la population mondiale. Les premières estimations avancent que 150 millions de personnes pourraient souffrir de carences en protéines d’ici 2050 (en particulier dans des pays comme l’Inde ou le Bangladesh) et 138 millions de personnes seraient susceptibles de souffrir de carence en zinc.
Attention aux conclusions trop hâtives
L’ampleur de cette érosion nutritionnelle et de ses implications fait, encore aujourd’hui, l’objet de nombreux désaccords. Cette controverse se fonde sur le fait qu’il est très délicat de se fier à des comparaisons de tables alimentaires dont certaines mesures datent de plusieurs décennies.
Il faut tenir compte de l’évolution des méthodes d’analyses et de mesures utilisées, et ainsi considérer la part d’incertitudes que cela induit. La précision des données datant des années 1950 est donc à relativiser.
De plus, les fruits et les légumes étudiés à différentes décennies n’ont pas forcément tous poussé dans les mêmes conditions (exposition, date de récolte, durée de conservation…) et il ne faut pas oublier que la composition chimique d’une plante fluctue en fonction des variétés, mais aussi au sein de la même espèce. Toutes ces données ne permettent donc pas de tirer des conclusions précises, mais seulement des tendances sur le long terme.
Cependant, au vu de l’importance de l’enjeu, la nécessité de poursuivre les recherches apparaît très clairement. De plus, ces dernières décennies sont le siège de changements fondamentaux dans les méthodes de culture, mais il ne faut pas oublier que cette évolution réside aussi dans la préparation et la présentation finale des aliments.
Les produits ultra-transformés, prêts à consommer, les sucres raffinés, les graisses saturées et les additifs chimiques contribuent, au moins tout autant, à l’augmentation des troubles micronutritionnels induits par l’alimentation.
En attendant, des pistes appropriées semblent émerger à travers les circuits courts (tels que les Associations pour le Maintien d’une Agriculture de Proximité (AMAP)), l’utilisation et la sauvegarde de graines anciennes et l’agriculture biodynamique. Cette dernière est un mode de culture qui considère que des aliments de qualité ne peuvent être produits que sur une terre en pleine santé.
Il s’agit de l’agriculture durable par excellence, soucieuse du lien entre le sol, la plante et le monde animal. On assiste aussi à la prise de conscience et à la montée en puissance des préoccupations sociales, écologiques et éthiques qui conduisent les consommateurs à rechercher une alimentation plus durable et plus respectueuse de l’environnement.
Enfin, il ne faut pas négliger l’intérêt des super aliments (spiruline, baies de goji, curcuma…) et des compléments alimentaires de qualité, qui peuvent s’avérer particulièrement efficaces pour prévenir une carence ou pour retrouver un terrain micronutritionnel équilibré, essentiel au bon fonctionnement de l’organisme.